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Tuesday, October 20, 2020

Entrevue de Max Dorismond, auteur DES MOTS POUR CONJURER NOS MAUX

Par Alexandra Philoctète



Notice biographique en quatrième de couverture :

Max Dorismond
« Originaire de Jérémie, Haïti, Max Dorismond a toujours vogué dans les belles lettres, au temps de sa jeunesse, animant dans sa ville natale, pour le plaisir des jeunes de sa génération, d’activités sociales, littéraires, culturelles et autres. Quelques-uns de ses poèmes, mis en 
chansons, faisaient le délice de son entourage et jusqu’à nos jours. 

Après ses études classiques, il rentra à Port-au-Prince, la capitale, pour étudier en Sciences de la gestion. Quelques années plus tard, on le retrouve au pays de Jacques Cartier où il se perfectionna à l’École des Hautes Études Commerciales (HEC), une constituante de l’Université de Montréal. 

À la fin de ses études, il rentra à la Banque Fédérale de Développement du Canada (BFDI). Ensuite, il passa plus de 30 années au ministère du Revenu du Québec, à titre d’enquêteur professionnel, traquant les fraudes et évasions fiscales dans les Grandes Entreprises. » 

Depuis la retraite, Max Dorismond est surtout connu pour ses prises de position, ses nombreux articles et chroniques dans Le Nouvelliste, Haïti Connexion Culture et le Coin de Carl. Aujourd’hui, il vient de publier son premier ouvrage DES MOTS POUR CONJURER NOS MAUX que j’ai lu avec beaucoup d’intérêt. 

J’ai été fort impressionnée par la richesse de cet essai dans lequel Dorismond aborde une douzaine de sujets : la religion, le monde artistique, le milieu littéraire haïtien, l’état actuel d’Haïti, l’époque de la colonisation, le royaume des rêves, la déchéance d’Haïti, la politique haïtienne et pour terminer la rédemption du peuple haïtien. 

Ce qui frappe surtout le lecteur c’est le style de l’auteur : direct et accessible à tous. 

Dans ses prises de position, Dorismond ne se contente pas de dénoncer, il apporte des suggestions voire des solutions pour l’avenir de son pays malgré une certaine nostalgie par rapport au passé. On peut être d’accord ou réfuter ce qu’il écrit, mais on ne saurait faire autrement que de lui reconnaitre une grande sensibilité et sa franchise dans la dénonciation de certains faits. D’où le livre porte bien son titre,DES MOTS POUR CONJURER NOS MAUX. 

1. AP - Max Dorismond, qu’est-ce qui a vous a porté à écrire ce livre? 

MD – 1 : Écrire pour moi est une sorte d’exutoire, une partie de ma nature. Très jeune, j’éprouvais déjà le désir de dénoncer les travers de la société occidentale, d’ouvrir les yeux de mes naïfs copains, face au complot international d’un petit groupe de pays qui s’entendait entre eux pour s’enrichir, laissant le reste de la planète à sa misère. J’avais toujours le goût de partager les trouvailles de mes lectures avec mon entourage. 

De là à extérioriser mes sentiments, synthétiser mes émotions, il n’y avait qu’un simple pas à franchir. Or, l’ambiance familiale m’avait aussi facilité la tâche. Mon père, étant un fonctionnaire au service de l’État, disposait d’une machine à écrire à la maison. En conséquence, dans mon jeune âge, encouragé par Papa, j’avais le privilège de taper dessus et de créer mes propres papiers, en commençant par des petits poèmes, des chansons, etc. Ce fut un jeu.

En grandissant sous le régime duvaliériste qui avait horreur des scribouilleurs, on se cachait pour écrire dans le noir. Car, à l’époque, certains mots tels que : Cuba, cubisme, suffisaient pour t’envoyer saluer Saint-Pierre. La prudence s’imposait. C’est ainsi que des concitadins, les gars de Haïti-Connexion d’Orlando et d’Arkansas qui se remémoraient certains souvenirs culturels, avaient réclamé mes services à la fondation de leur blog. Épris de mes articles, le public et certains amis ont réclamé un livre. C’est ainsi que je suis tombé dans la marmite.

2. AP - Est-ce l’éditeur qui a choisi l’image sur la page couverture? 

MD – 2 : Non. C’est une photo que mon épouse avait croquée sur son iPad, lors d’une exposition florale au Jardin botanique de Montréal en 2010, je crois. Par hasard, elle me l’avait proposée et j’avais acquiescé sans discussion. Le public semble l’adorer. 

3. AP - Bien que votre ouvrage soit un travail de réflexion, on découvre dans le choix des mots une certaine sensibilité même lorsque vous exprimez une grande indignation. Est-ce exact? 

MD – 3 : C’est exact. Au fond, c’est la nostalgie qui m’étreint. Vivre au pays des blancs, malgré 50 années d’exil, n’est pas une sinécure. J’ai mal dans ma peau, j’ai mal dans tout mon être de voir sombrer ce si beau pays qu’est le mien, en vivotant à l’étranger. S’entourer de beauté, de bling-bling, de gadgets, ce n’est pas la vie. C’est se bercer d’illusion ou, pour mieux l’exprimer en créole, 

« Se pete tèt nou ». Alors, un sentiment de révolte, parfois sourde, nous accable et nous incite à grimper dans les rideaux (par la pensée, bien sûr). Donc, se défouler sur une feuille blanche s’avère être un dérivatif appréciable pour cacher notre désillusion, notre trop-plein de rage, et découvrir en définitive que nos rêves se meurent lentement, au rythme de la détérioration accélérée de la terre qui avait bercé notre jeunesse. 

4. AP - Dans l’avant-propos du livre, une phrase m’a vraiment frappée, vous dites : le film de notre histoire politique, avec son cortège de meurtres sordides, d’assassinats inclassables, de haine compulsée, de trahisons inédites enlève, toute humanité, toute valeur morale à la jeunesse. Car les multiples exemples qui en découlent ne sont pas de hauts faits d’armes, mais des souvenirs séditieux pour des esprits malfaisants, détraqués par l’obsession du pouvoir, de l’argent, et que sais-je encore!

Depuis la publication de votre livre (mai 2019), la situation du pays s’est encore dégradée, on ne peut plus dire qu’on est au bord du gouffre, on est en plein dedans malgré l’aide de la diaspora. Pensez-vous que l’espoir est encore permis comme vous le souhaitez dans votre ouvrage? 

MD – 4 : À voir ce que nos aînés et nos prédécesseurs nous ont légué, nous pouvons aisément deviner l’avenir, quant à la toxicité ambiante. Or, où est passé l’esprit de sacrifice de nos héros, où sont allés les exemples de patriotisme, de fraternité qui ont été l’apanage de nos pères. L’individualisme croissant qui anime l’île aujourd’hui ne se trouve pas dans nos livres d’histoire. À beau chercher l’origine de cette contagion de maltraitance, de corruption, de couardise, nul ne peut penser à nos braves Pères qui, nous ont au contraire légué, l’esprit de sacrifice, de courage et de ténacité. Voilà la raison de mes réflexions. 

Toutefois, comme je le répète assez souvent, un pays ne meurt jamais. Nous ne faisons que passer. Par conséquent, la bévue, le mal-être, ne sont pas éternels. Donc, une prise de conscience est capitale à un moment donné pour la génération à venir. Avec la pertinence des réseaux sociaux ouverts sur le monde, avec cette jeunesse alerte et trépidante, qui ne nous ressemble nullement, nous caressons tous l’espoir de voir poindre, un jour, la rédemption d’Haïti. 

5. AP - Jérémie - Ne m’appelez plus jamais la cité des poètes - En tant que Jérémienne de naissance, j’ai été bouleversée en voyant ce titre. J’imagine qu’en tant que Jérémien cela a été difficile pour vous de parler des déboires de votre ville natale plus particulièrement des vêpres de Jérémie. Aujourd’hui, comme vous le dites si bien dans votre ouvrage, la Ville de Dumas est laissée à l’abandon et oubliée par tous les gouvernements haïtiens. Espérez-vous qu’un jour que Jérémie connaîtra une renaissance? 

MD – 5 : Tout d’abord, je suis amer en pensant aux assassinats sordides perpétrés au cœur de Jérémie par des assoiffés de pouvoir, des ignares patentés, des ignorants décorés. Ces derniers se sont laissés embobiner, labourer le cerveau et manipuler la conscience pour quelques pièces de monnaie, qui les ont dénaturés pour les conduire, toutes voiles dehors, à la porte de la déraison. Une ville divisée entre des entêtés qui ne jurent que par leur nombril. Des frères de sang dénués de toute intelligence et qui n’ont pas hésité une seconde avant de franchir le Rubicon. Hélas! 

Max et son épouse Jacqueline  dans les Laurentides
lors d'un petit déjeuner.
                                               

Et ensuite, quelle récompense avaient-ils reçue, au bout du rouleau? Presque rien. Nada! On dirait que les autres provinces les regardent comme des pestiférés, des indésirables à laisser tomber, des malfrats infréquentables et répugnants, à oublier au bord de la route. Et, en réalité, ils ont été vraiment oubliés, sur toute la ligne. 

Néanmoins, je compte sur cette faculté de la mémoire qu’est l’oubli et le facteur temps, pour stopper cette désincarnation aux fins d’effacer les affres de cette erreur innommable, tout en comptant sur la nouvelle génération pour amorcer la résurrection dans un proche avenir. 

6. AP - Le lancement de votre livre a connu un grand succès au Québec. Par la suite, il y a eu des tournées professionnelles aux États-Unis (Floride, New York, Georgie) et également en Espagne. Est-ce que vous comptez organiser d’autres lancements en Europe? 

 Lors du premier lancement au Québec ( Photo HG) 
MD – 6 : Non, je n’ai aucun projet en ce sens. Sauf si j’y suis invité. Par contre, j’ai reçu deux invitations pour un lancement en Haïti. Mais j’hésite à y mettre les pieds pour le moment. Laissons passer la caravane. On y reviendra. 

7. AP - Vous me semblez quelqu’un de très créatif, si vous deviez vous décrire en tant que personne, comment le feriez-vous? 

RÉP – 7 : Comme la plupart des individus, sortir du quotidien occupe une place de choix dans mes décisions. La médiocrité m’effraie et m’énerve. Donc, on fixe la lune pour atteindre les étoiles. Ainsi, j’ai pu réaliser la majorité des objectifs que je m’étais assignés, pour moi, pour mes filles, pour ma famille élargie et même pour ma famille de proximité. Ça a marché. 

J’ai toujours été aiguillonné par cette tendance à pousser les autres, souvent de purs étrangers, à se dépasser. C’était comme une démangeaison, une envie folle d’aider les autres dans le besoin. C’est une faiblesse, je la concède. C’est une partie de moi. Souvent, j’ai eu à me mordre le pouce pour en avoir trop fait. La reconnaissance n’est pas toujours au rendez-vous. Aujourd’hui, je mets la pédale douce, car, en prenant le train de la vie, sans nulle prudence, on peut frapper un mur. Et j’en avais frappé. Je crois que c’est le seul trait de créativité chez-moi. Après, c’est la routine habituelle : vivre la vie au jour le jour, un point c’est tout! 

Néanmoins, certaines situations dans le quotidien m’horripilent et m’obligent parfois à sortir de mes gongs, quand l’évènement dépasse le cadre de la civilité : c’est l’injustice érigée en système. Dans ces moments de dépassement, j’enfourche ma plume ou je pianote sur mon clavier aux fins de sortir de cet accès d’impatience, de cette sourde rancœur, en accouchant mes réflexions, mes « non-dits » sur une feuille blanche, d’où la compilation des articles qui ont contribué à la naissance de mon livre, « Des mots pour conjurer nos maux ». 

Le titre éponyme en veut tout dire. C’est exactement, un ensemble de non-dits, une compilation d’aigreur et d’exaspérations enfouies, que je ne pouvais contenir, sous peine d’explosion. 

Entre autres créativités concrètes, puisque c’est la question, je peux vous parler d’une application informatique que j’avais mise sur pied au temps de mes études en gestion. Au balbutiement de l’ordinateur et à l’arrivée d’Excel, j’avais utilisé l’intelligence de la machine pour introduire des formules de mathématique financière pour monter un système qui me permet d’investir de l’argent dans un actif donné et prévoir mon profit futur avant d’investir un centime. D’où l’expression que je répète souvent à mes associés, mes enfants ou amis qui réclament mes conseils : « Il faut savoir où va un dollar avant de le dépenser ». C’est un formulaire électronique qui a fait ses preuves dans la famille, dans mes investissements personnels et chez certains amis. Voilà! J’espère avoir fait œuvre utile. 

8. AP - Si je me fie à vos écrits, la politique semble tenir une place importante dans votre vie. En dénonçant l’injustice, souhaitez-vous en tant que membre de la diaspora partager un jour votre expérience et votre compétence avec nos compatriotes en Haïti? 

MD – 8 : Partager mes expériences avec les compatriotes d’Haïti! Hum, la grosse question! Au prime abord, je souligne qu’à mon âge, cette intention ne m’a jamais effleuré l’esprit, en raison des traumatismes subis, justement en Haïti. Étant un type très émotif, qu’un rien déstabilise, je ne me vois pas dans mon pays d’origine, en situation de composer avec mes congénères sur le terrain pour le bien-être de mes frères et puis rater l’objectif pour les diverses raisons appréhendées au départ, telles que la couardise, l’hypocrisie, la traîtrise, la mauvaise foi, la corruption… la liste est non-exhaustive. Pour ce, je préfère rester dans mon coin avec mon ordi pour dénoncer, critiquer et proposer des solutions. Après toutes ces années à l’extérieur, nous sommes des extravertis, des quantités exogènes à utilité restreinte, malgré la masse d’expériences accumulées au fil du temps. Trop d’Indiens ne garantissent pas toujours la victoire! 

9. AP - Vous parlez un peu de votre famille dans le livre. Qu’est-ce qu’elle représente pour vous? 

MD – 9 : C’est mon point d’ancrage, le phare vers lequel je me dirige en toutes circonstances. Dans le pays d’accueil choisi, nos relations avec les autochtones (entendons ici: les Québécois) se résument à un rapport de proximité. Ce n’est pas comme chez nous là-bas, où on se sent comme dans un gros village, où la maison du voisin représente un havre de sécurité pour tous. Au pays d’accueil, c’est le repli sur soi. Et la famille devient le berceau, le terreau, la source vers laquelle on se retourne pour se rafraîchir quand le stress de l’exil nous tenaille. 

10. AP- Est-ce indiscret de vous demander si vous comptez écrire un prochain livre? 

MD – 10 : Écrire un autre livre, je n’y ai pas tellement pensé. C’est comme pour le premier, l’intention n’y était pas. Comme le public s’était fait insistant, j’ai succombé, faute de choix. Demain, si la demande se réitère, la possibilité de publier un nouveau ne me fera pas de tort. Ce sera peut-être dans le même style : un livre de relaxation, invitant à la réflexion. Un bouquin à lire en dilettante et sans chichi. Mais, en attendant, perdu dans mes pensées, je préfère regarder passer le temps tout en réfléchissant sur l’actualité chevrotante d’aujourd’hui, avec son lot d’incertitudes à désarçonner même les plus coriaces. 

11. AP - Qu'aimeriez‑vous ajouter à l'intention des lecteurs de la revue POUR HAÏTI? 

RÉP – 11 : Je les invite à concrétiser leurs rêves les plus secrets, soit de voir leur pays ressusciter en paix et en beauté, avec les plus beaux souvenirs d’hier enfouis quelque part en eux. Qu’ils continuent à lire la revue « Pour Haïti », l’un des liens qui les rattache encore à ce paradis presque perdu, pour que l’oubli ne fasse pas litière de leurs rêves. 

12. AP - Merci Max Dorismond de m’avoir accordé cette entrevue.

MD – 12 : Bienvenue, ma chère!

 

1 comment:

  1. Veni , Vidi Vixi ( je suis venu , j ai vu j ai vaincu ) pour ceux qui ont un peu oublie cette langue ) et pour Mon cher Max mon Grand Max comme je ' l interpelle souvent La traduction serait " le contraire Je suis parti .. J ai Vu et j ai appris car ces Mots pour Conjurer nos MAUX est L oeuvre en resume de nos MAUX cacher sous des MOTS pour nous consoler de n avoir pu


    RIEN FAIRE pour EVITER CES MAUX qui nous rongent Le coeur .

    Comme disait ce Poete Africain " Les enfants d 'aujour d ' hui sont des fous"' Que vont Ils chercher la Bas ?

    Vers les annees 1974 apres 14 ans en dehors du pays et fatigue de porter Hautainement cette misere de L exil Je Me suis dit un jour :c est assez ! et avec femme et entants , J ai tout vendu et je suis retourne avec rage , le coeur rempli d espoir vers ce pays qui me hantait Rage de ne plus pouvoir accepter cette decadence qui s annoncait deja et L espoir d 'y apporter un CHANGEMENT PROFOND ET RADICAL .. Et pendanr un autre 14 ans J AI TOUCHE LA PLAIE DU DOIGT en compagnie de plusieurs de mes amis qui partageaient le meme desir d y apporter Un CHANGEMENT.. et COMME DIT le dicton Latin
    Je suis parti j ai vu et j ai appris . et je suis revenu avec ce gout amer de la defaite mais la satisfaction d y avoir tout essaye et ca J AIU TOUCHE LA PLAIE DU DOIGHT et mesurer De FACTO La profondeur de ce mal .

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