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Thursday, August 6, 2020

Kleptocratie – Comment les milliards ont-ils laissé Haïti? Part - 2

La carte de visite:3 lettres rouges et les clés dorées du paradis

Par Max Dorismond

                                                                  
                                                                                                                                    
En suivant les révélations du lanceur d’alerte
Pour comprendre, un tout p’tit peu, la dilapidation des 4,3 milliards de dollars de Chavez, ou des 6,3 milliards de la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH), faisons corps avec les révélations de Bradley Birkenfeld, et replaçons-nous en Haïti. Le scénario que nous allons élaborer pourrait s’appliquer pour tous les paradis fiscaux ainsi connus : le Lichtenstein, les Bahamas, le Panama, la Suisse, les Bermudes, l’Irlande, Singapour etc… Il y en a plus de trente à travers le monde. Les secrets de la UBS*1 nous servent d’exutoire, simplement, pour mieux cerner notre descente aux enfers.

Une fois la nouvelle de cette manne providentielle arrivée aux oreilles des banquiers gloutons de ces paradis, via les journaux ou leur ambassade ou d’autres contacts claniques, les vacances en Haïti deviennent une affaire de grand luxe. Ces oiseaux de « bon augure » (sic) ne lésinent point avec le confort et l’étalage. Le paraître est un atout dans leur approche pour amadouer les éventuels clients.

Tous frais payés par leur banque respective, ils voyagent en classe affaire ou en jets privés et débarquent dans l’île où des anciens clients, déjà dans le circuit, se chargeront, de leur publicité sournoise et discrète, de les présenter aux nouveaux maîtres d’influence du moment : ministres, directeurs généraux, contractants, affairistes néophytes, nouveaux riches, PDG de compagnies de construction et jusqu’aux hommes du président ou le président lui-même. Pourquoi surtout les serviteurs de l’État? Ces banquiers savent, selon le mot de H.L.Mecken, « qu’un bon politicien est aussi impensable qu’un voleur honnête ».

À cette éclectique galerie, le banquier, gérant de patrimoine, va ouvrir la parade et les inviter, tous frais payés, à des soirées spéciales données dans les plus chics hôtels de la capitale, des endroits où l’on s’épanouit dans la douceur de l’entre-soi, où l’élite économique et politique vient causer entre copains-coquins.

Muni de la carte de crédit la plus prestigieuse au monde, la « American Express Centurion card*2 », mieux connue sous le pseudonyme de « Black Amex », il invite les « amis » et leurs accompagnateurs, par exemple, à une soirée de dégustation de vin raffiné, accompagné de p’tites rissoles de volailles et du potage à la Conti sur croûton, ou bien à un vernissage de peinture d’un des grands maîtres de la cité, accompagné de vin de grands crûs, tel le « Domaine Leroy Chambertin- Grand cru, Côte de nuit, France » à 4500,00$ la bouteille, toujours commandités par sa banque.

À noter que, dans la valse des milliards, il ne serait pas étonnant de voir un Black Amex entre les mains de certains thuriféraires haïtiens. La vanité et la manie de se faire voir, vont les aiguiller à exhiber de pareils bidules.

À ces soirées bien arrosées, les contacts se multiplient et les cartes de visite avec le logo de la banque en question sont distribuées à tout vent avec le subtil petit message oral : « Si vous êtes de passage en Europe ou aux USA, quel que soit l’endroit, donnez-moi un coup de fil, je passerai vous voir… ». Ces simples mots ne tombent point dans l’oreille d’un sourd. Car, avoir la carte de visite d’un banquier suisse entre les mains est déjà un passeport pour conforter certains, mais aussi, un switch qui allume instantanément des ampoules dans la tête du futur corrompu. D’ailleurs Voltaire l’avait déjà souligné : « Si vous voyez un banquier suisse se jeter par la fenêtre, sautez derrière lui: vous pouvez être sûr il y a quelques profits à prendre*3 ».

Entretemps, le contact local se chargera de faire le suivi. À propos de cet « ami local » providentiel, qui ne se trouve pas sur la route par un heureux hasard, il est habituellement un ancien client du banquier avec des titres honorifiques, tels, par exemple, « Consul Honoraire » de l’une de ces bourgades perdues de l’Europe ou de l’Amérique du Sud, ou « VIP Investment, un vrai « bandit légal » à cravate! Des titres pompeux accordés pour mieux faire trotter la valise diplomatique. En un mot, ce sont des rabatteurs, ou plutôt des « mules » de luxe.

Confortablement assuré d’un relais étranger, le prospect, en position de s’enrichir, un de ces quatre matins, décide de rentrer en contact avec le banquier du diable, qui l’assurera de son service. En fin de compte, il l’invitera en Suisse, pour la première fois, en vue de lui mettre plein la vue sur le côté sérieux et rassurant de son institution, qui lui fera signer son premier compte à numéro. Si le montant à transférer est énorme, un petit dépôt de bonne foi, de 200 000,00$ comme amorce, fera l’affaire. Une valise diplomatique s’en chargera ou bien un chèque sur mesure, tiré d’une banque complice de Port-au-Prince, facilitera le premier déclic. Ensuite, dans un mois, il pourra effectuer des transferts en ligne (par internet) pour grossir le magot sans aucune limite.

Ne vous étonnez point d’y trouver des comptes d’Haïtiens dépassant les 50 à 100 millions de dollars et plus. Le plus bizarre dans ce carnaval de dollars, le client, une fois signé son premier dépôt, en personne, ne revient jamais en Suisse, pour éviter tout soupçon. Il devient un adepte de l’internet.

Le fameux compte à numéro est un piège, dont le client, trop content de déplacer l’argent volé hors du pays, cherche rarement à comprendre la mécanique. Sur ce compte, la banque ne remet pas un sou d’intérêt. L’identité du client ne figure nulle part. Seuls un ordinateur et le banquier signataire retiennent son nom. En tant que dépositaire, la maison prélève un 3% de commission. Par contre, si le client donnait comme instruction de placer son argent, un autre 3% serait retenu, en plus des frais de transaction. Peu importe, le déposant a le solde du compte pour rêver, « remisé, au loin, sous son matelas étranger en acier ».

Ce n’est pas tout. Le banquier lui offre le choix de bloquer ses dépôts pour un an ou plus. Si, par malheur, il a un besoin d’argent pour une quelconque urgence, la banque se chargera de lui prêter 90% de son propre capital*4, à un taux d’intérêt attractif, dit-elle. Les 10% resteront dans le compte à titre de garantie. Même ses retraits en ligne seront cumulés et classés comme prêts.

Le côté macabre de ces fameux comptes mystérieux se révèle intéressant pour ces corporations lorsque certains propriétaires décèdent sans révéler l’existence de ces comptes à numéro à leurs héritiers. Habituellement, ce compte non réclamé devient la propriété du dépositaire, c’est-à-dire la banque.

C’est ainsi que, 50 ans après la seconde Grande Guerre, suite à un retentissant procès devant le tribunal de Brooklyn, à New York, en 1995, le Congrès Juif Mondial avait, en effet, intenté des poursuites contre les banques suisses pour réclamer la restitution des sommes des victimes de l’holocauste restées en déshérence (sans héritier) dans leurs coffres. Après 3 ans de dénégation et une dure bataille, la Suisse s’est résignée à lâcher dans les goussets des héritiers, survivants de l’Holocauste, la somme de 1,6 milliard de dollars après de puissantes pressions*5.

En définitive, et le plus surprenant, tout le monde joue à ce petit jeu de cache-cache. S’il faut en croire Birkenfeld, il lui est arrivé un jour de recevoir deux clients italiens qui voulaient faire un retrait de 100 000 dollars, chacun. Après les vérifications d’usage et comparaison des indices, sans aucun nom, les Italiens ont obtenu le feu vert pour le retrait. Après leur départ, le banquier, par curiosité, muni des indices comparatifs, a vérifié leur dossier pour découvrir que c’était deux prélats du Vatican*6

Voilà, en gros, comment l’argent se déplace du point A au point B, sans que personne ne puisse le déceler. Englouti dans les eaux boueuses de la corruption, il est presqu’impossible de le remarquer. Sauf la comptabilité des banques du pays victime peut lui fournir des indices du crime. Les cas de dénonciation à la Birkenfeld sont extrêmement rares, malgré la somme astronomique qui lui a été payée pour services rendus à l’Amérique. Car, ces établissements sont bien protégés.

Encore, la complexité de leur complicité est tellement perfectionnée, que les peanuts qu’ils vont payer à titre de pénalité ne représentent qu’une goutte d’eau sur le dos d’un canard. Les meilleurs avocats du monde sont à leur solde. Le système financier international favorise intrinsèquement la criminalité par son opacité et sa dérégulation. Les gouvernements victimes seront toujours complices pour laisser le système évoluer dans toute sa splendeur. Ils pataugent tous dans un capitalisme de connivence.

En effet, selon la Banque Mondiale, les fonds volés à leur propre pays par les dictateurs et leurs complices représentent entre 20 et 40 milliards de dollars par an*7. Juste à titre d’exemple, malgré la bonne volonté et l’initiative du "Stolen Assets Recovery (STAR)", (Recouvrement des Avoirs volés), bras armé de l’ONU et de la Banque Mondiale pour combattre la corruption, personne n’a réussi à entamer une procédure pénale pour obtenir de la Suisse la restitution des 7 petits millions de dollars restants et gelés sur les comptes de la famille Duvalier. Allez voir pour les milliards de Chavez.

Ce qui prouve que l’ancien député helvétique, Jean Ziegler, avait raison d’écrire que : « La Suisse lave plus blanc ». Son matelas d’acier est trop lourd pour aller voir en dessous.

Max Dorismond Mx20005@yahoo.ca


1 - UBS est une société de services financiers dont les sièges sont à Zurich et à Bâle, en Suisse C'est la plus grande banque de gestion de fortune dans le monde, avec 68000 employés et des actifs financiers investis de 3 607 milliards de francs suisses en 2019. Ses activités principales sont les activités de banque privée, banque d’investissement et de gestion de fortune.
2 – La « Black Amex » ne se demande pas. La compagnie (AE) l’offre au mérite, en rapport à la
       pertinence de votre fortune. Le plus grand achat connu effectué avec la carte Centurion,(Black
       Amex) est le tableau « Nu couché » d'Amedeo Modigliani, que l'homme d'affaires Liu Yiqian a
       acheté pour 170 405 000,00 dollars US lors d'une vente aux enchères de Christie's à New- 
       York en 2015. Toutefois, il n’y en a pas beaucoup en circulation. À peine un millier.
3 – Src. : Le journal Challenge’s - 30 Oct.2015
4 – Src. : « Le banquier de lucifer » de Bradley C. Birkenfeld - page 83
5 – Src. : Journal Belge : « Le Soir » 14 Août 1998.
6 – Src. : « Idem - page 62
7 – Src. : le journal Le Monde de Juin 2010

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