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Sunday, May 3, 2020

Lettre à Jacques Stephen Alexis



Par Mérès Weche





Montréal, le 03 mai 2020

Je vous salue, distingué Compère Général Soleil, et je vous dis Honneur-Respect pour toute la déférence que requiert votre prestigieux grade dans le Grand Corps des Sérénissimes Littéraires de la nation haïtienne. Voila soixante-quatre ans que vous aviez écrit “ Lettre à mes amis peintres“, qui est restée sans réponse depuis et jetée dans la poubelle de l´histoire. Je suis tombé par hasard sur ce précieux morceau de littérature. Et en dépit de toutes les stigmatisations que vous aviez vues dans notre foutu pays, et que vous aviez si bien exprimées dans vos œuvres, et même exorcisées, le hasard a voulu que je sache lire et peindre, et c’est la seule chance que j’ai eue de déchiffrer le contenu de votre missive, jaunie par le temps, et de prétendre vous faire cette courte réponse. Je sais que la soldatesque duvaliériste vous avait crevé les yeux, mais vous avez l´âme si clairvoyante, et comme vous connaissez le langage des artistes, pour les avoir pratiqués sur Terre, je suis persuadé que vous me lisez même déjà.

22 avril 1922 - Avril 1961
Distingué Compère Général, en l’année 1956 où cette lettre a été adressée à vos amis peintres, aux bons soins du journal Reflets d´Haïti, vous leur aviez dit en ces motsː “ Il faut chanter les beautés de la Patrie Haïtienne, ses grandeurs comme ses misères, avec le sens des perspectives grandioses d´avenir que lui donnent les luttes de son peuple, atteindre ainsi à l´humain, à l’universel, à la vérité profonde de la vie“. Ce fut en cette même année 1956 que vous aviez prononcé cette superbe conférence sur le “Réalisme Merveilleux des Haïtiens“, au cours du Premier Congrès des Écrivains Noirs, organisé par Présence africaine à la Sorbonne. En ce temps-là, vous aviez déjà publié, chez Gallimard, votre très beau roman Compère Général Soleil, qui a été pendant longtemps mon livre de chevet.

Sérénissime Compère Général, ce n’est pas parce que l’austère Mgr. Michal Obszyñski de l’Institut d’Études de l´Université de Varsovie a reconnu la valeur de votre poétique, dans sa thèse de 3e Cycle “Manifestes et programmes littéraires“, que j’ai pris goût à votre esthétique, comme s´il fallait que le Blanc le dise, et qu’il me retire de la cire dans l´œil, pour que je voie l’immense portée de vos œuvres. Dans un tel cas, vous auriez raison de me reprendre avec cette pensée de La Rochefoucauldː “ Les justes éloges sont des parfums qu’on réserve pour embaumer les morts“. Non, en vérité, Compère Général, je n´ai jamais cessé de vous porter aux nues, depuis le Café Thélème où j’avais réalisé un poster à votre intention, jusqu’à aujourd’hui, au moment même de vous écrire cette lettre. Des exemplaires du dit poster ont été partagés en Europe, par feu Max Chancy, avec plusieurs de vos anciens camarades de combat. Je ne sais ce qui est advenu de ceux-là que j’avais offerts gracieusement, en Haïti, au Ministère de la Culture et au MUPANAH. Pourtant, dans mon esprit, par respect pour votre mémoire, je souhaitais voir, en ces lieux, cette œuvre fixer dans le temps les linéaments de votre noble visage.

Jacques Stephen Alexis 
Narrateur, essayiste, médecin, militant
politique, victime de la répression du  dic
tateur François Duvalier.                          
Vénéré Compère Général, votre texte “ Prolégomènes à un Manifeste du Réalisme Merveilleux des Haïtiens“, a été également célébré par Rod S. Heimpel, dans sa thèse de doctorat, à l´Université de Toronto, titrée “ Généalogie du manifeste littéraire“. Autant de consécrations posthumes qui sont venues s’ajouter à celles que vous avez connues sur Terre. Je me garde d’employer l’expression “de votre vivant“, car vous n’êtes pas mort. Et je vais même jusqu’à redire, si vos yeux de chair ont été crevés, vous me lisez déjà avec ceux de l´âme, ce principe éternel.

Pour finir, Sérénissime Compère Général, je dois vous dire que je ne cesserai jamais de répéter ces mots de “Prolégomènes“, et qui se trouvent aussi en substance dans “Lettre à mes amis peintres“ dont je vous fais la réponse aujourd’huiː “ … Chanter les beautés de la patrie, ses grandeurs comme ses misères, avec le sens des perspectives grandioses que lui donnent les luttes de son peuple et la solidarité avec tous les hommes ; atteindre ainsi à l´humain, à l’universel et la vérité profonde de la vie“.

Bien à vous, humblement,

Mérès Weche

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