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Sunday, December 30, 2018

Lettre ouverte à un Pharaon d’Haïti

Par Max Dorismond

Statue d'un pharaon égyptien 
Grand manitou devant Dieu et devant le peuple, en cette fin d’année, en ce moment de compassion, de réflexion, j’ai osé entrer dans votre univers en empruntant le couloir de la déraison, en nageant à l’envers de la logique, votre logique, pour faire appel à votre magnanimité, votre générosité, aux fins de faire fructifier votre bien mal acquis au sein de la Nation au lieu de favoriser les terres étrangères qui n’ont rien fait pour « mûrir vos années ».

En effet, je suis fatigué de fustiger les corrompus, de tirer à boulets rouges sur les contrevenants sans aucun espoir de correction ou punition. Au rythme où se développe la corruption chez-nous, un scandale n’attend pas l’autre; je demeure avec l’inquiétante certitude que vous riez des scribouilleurs qui vous enculent à longueur de journée avec leurs articles vitrioliques.

Vous êtes tous bien entourés et bien protégés par vos clans respectifs. Loin de nous l’espoir de vous faire changer de manières, de principes, d’éducation. C’est en dessous de votre réalité. Or, on ne peut incendier la nation en son entier.  Voler, piller, rançonner Haïti demeure un leïtmotiv courant, un sport national que rien ne peut endiguer. Nous devons vivre et composer avec. Vous êtes des champions. Vous êtes tous associés dans le « bêchons joyeux » que certains perçoivent comme la fleur du mal et que d’autres, comme vous, persistent à considérer comme un art de vivre.

Au train que ça vogue, nul ne peut se permettre de vous demander des comptes. Jamais, au grand jamais, un « grand mangeur » repenti ne s’évertuera à offenser un associé, en l’invitant à rembourser le butin de guerre. C’est commettre un crime de lèse-majesté. Personne, qu’il soit détenteur du pouvoir hier, aujourd’hui ou demain, ne s’avisera à faire entorse à l’indécence. C’est écrit dans le ciel. Jamais au grand jamais, vous ne serez inquiété. Ce serait une abomination. Le serment du clan le commande.

L’argent dérobé repose bien au frais à l’étranger, non pas sous peine d’être réclamé par Haïti, mais en raison des prédateurs mal intentionnés d’un autre clan qui pourraient caresser la malencontreuse intention de rafler votre mise par concurrence et par égocentrisme. Il en existe certains. Je n’en disconviens pas. Néanmoins, Haïti est doublement perdant. C’est une faille à corriger dans le pillage. Voler, mais voler bien, en faisant bénéficier au pays les miettes récupérables, en gardant la somme chez nous aux fins de créer quelques emplois non négligeables. Ce serait, malgré tout, très apprécié. La nation ferait contre mauvaise fortune, bon cœur. Elle n’a pas deux choix.

Dans la réalité, c’est une véritable aberration de voir l’étranger comme le suprême bénéficiaire de vos larcins, quand vous consommez ses soins de santé, ses collèges, ses universités, son confort et ses autres babioles. Bien sûr, il y aura toujours, et toujours, de l’argent à voler. Mais de grâce, arrangez-vous pour laisser quelques piécettes aux pauvres de chez-nous qui ne sont pas du sérail. L’étranger n’attend pas mieux. Il vous déroulera, bien sûr, le tapis rouge selon l’épaisseur de votre magot. Par hypocrisie, il  vous enivrera par ses traitements de VIP pour vous inciter à piller encore plus pour remplir ses banques. En bon crocodile, il versera quelques larmes pour vos frères victimes, mais ce sera déjà loin, tout ça. Et, une fois le dos tourné, il vous traitera de voleur, d’entrave à l’avancement de votre race, d’imbécile, d’abruti.

Le risque de la perte vous guette à tout instant
En plaçant le produit de votre indélicatesse à l’extérieur, rien ne vous assure que vous êtes en contrôle. À preuve, les futuristes, qui ont prévu la perturbation de la monnaie actuelle, ont applaudi des deux mains l’arrivée des crypto-monnaies, telles que le « bitcoin », entre autres. La raison de sa création vous édifiera1. D’ailleurs vous n’êtes pas le premier larron à faire main basse sur la marmite. On peut les compter par millions, depuis la naissance du pays. Tous ceux, qui sont passés par le chemin du pouvoir, ont bêché joyeusement et sont répartis les poches bien garnies sous des cieux plus cléments.

Un seul « imprévoyant », rapporté par l’historien Charles Dupuis, a laissé le bateau ivre, sans un louis pour aller vivre dans la misère froide du Québec. Ce fut l’ex-président Élie Lescot2. Pour survivre, il confectionnait des cravates. Ses successeurs lui ont fait payé très cher sa présomption et son arrogance de ne pas être un voleur par tradition, en suspendant sa pension d’État.

Tous les autres détrousseurs et leurs alliés ont vécu en rentiers sans panache et sans bruit pour se faire oublier. Et on les a tous vraiment oubliés. L’histoire n’a pas retenu grande chose de leurs progénitures. Alors, est-ce une façon de se sauver en catimini et d’aller vivre en riche reclus, en terre étrangère, loin de nos yeux? Vivre à la dérobade, comme un officier allemand de la seconde guerre, avec le stress lancinant d’être découvert un jour, jusqu’à la fin de son existence, n’est pas l’idéal. Au contraire, je vous invite à rester chez-vous, à jouer sur les thématiques polarisantes de la société haïtienne qui vous font défaut présentement : soit de partager son exubérance irrationnelle et compétitive entre congénères.  Ce qui vous siéra bien, en définitive.

Juste une petite et merveilleuse idée pour le bien de tous.
L'architecture du Palais des Doges
Spécialement pour vous, il me vient à l’idée de vous soumettre un projet pour Haïti qui, si vous pouvez le réaliser, rapportera un peu de répit à la masse nécessiteuse par le nombre d’emplois que vous pourrez créer et le symbolisme qui s’y rattache. Néanmoins, comme l’a dit J-J. Rousseau,  « L’homme est né bon, c’est la société qui le corrompt3 ». Pratiquement, la nature haïtienne a déréglé votre horloge caractérielle. Mais, comptant sur la rédemption humaine, je sais que vous pouvez changer et je mise sur cette parcelle d’espoir qui pourra vous métamorphoser, malgré tout, en héros national. « Tout homme peut se tromper, mais le pardon est divin ».

Les armes du Palais des Doges
Au cours de mes nombreux voyages, de partout à travers le monde, j’ai eu l’occasion de jauger le contenu touristique, assez pauvre de certains pays, qui m’inspire des idées folles pour le nôtre, qui possède vraiment une histoire authentique et non romancée, de l’inhumanité des hommes, avec des témoins privilégiés, capables d’attirer l’attention et la curiosité du monde, et surtout celle de la race Noire.

Entre mille visions, je choisis quelques exemples pour votre édification aux fins de vous assurer de la pertinence de mes rêves. À Venise, en Italie, j’ai visité le Palais des Doges, où j’ai pu admirer, de visu, des armes létales terrifiantes, tels : des poignards, des arbalètes, des épées et des lances aux crocs acérés, pouvant dévorer la chair de la victime, sans espoir de survie. Des armes, en principe, qu’on ne devrait pas exhiber en pensant qu’elles ont exterminé des races entières, lors des génocides dans le nouveau monde. Ce sont, en passant, des musées des horreurs, qui nous rappellent la fureur qui s’était abattue sur les premiers habitants du Nouveau Monde, hommes, femmes, enfants,  qui avaient commis l’unique péché d’avoir fait confiance à ces colorés et « gentils » visiteurs.

Ostensoir de Toledo
(Photo:Max Dorsimond)
À Toledo, en Espagne, dans la Cathédrale Sainte-Marie, est exposée une pincée de  la première cargaison d’or recueilli à Saint-Domingue, remise par Isabelle la Catholique à l’institution en guise de remerciements au Ciel d’avoir guidé Christophe Colomb et les siens vers ces paradis où le précieux métal brillait au soleil comme les fleurs dans les champs de tulipes. Cette fine parcelle du précieux métal, enfermée dans un écrin (petite custode), est conservée dans un ostensoir doré4  à titre de relique à aiguiser la curiosité des touristes qui paient pour la voir et écouter l’histoire de la colonisation sans la mention des mots fatals, tels que : exploitation, sang, mort, génocide des indiens etc…

Monument aux bateaux au Portugal
Au Portugal, le monument aux bateaux conquérants ou négriers dans le port de Lisbonne, ne laisse aucun doute aux touristes quant à l’ancienne puissance de cette nation et l’origine de sa richesse, sans aucune allusion à l’esclavage, le commerce humain, les razias sur les côtes africaines etc…

Qui possède l’authentique histoire de la cruauté humaine?
Voilà! C’est là que je voudrais en venir. S’il y a quelqu’un qui possède la clé de la vraie histoire à montrer au monde, c’est bien nous, les antillais et particulièrement les Haïtiens, qui avons réussi là ou plusieurs s’étaient cassés la margoulette. Nous avons été amenés en enfer. Nous y avons vécu et nous nous sommes parvenus à nous en extirper. Nous avons chambardé l’ordre établi et contribué à modifier la mentalité de toute une époque, en créant une nouvelle allégeance pour la modernité.  Mais Haïti est toujours en guerre depuis deux siècles. Une guerre sourde, une guerre invisible et tenace.

Une Mecque pour les Noirs du monde
Nos frères africains seraient à coup sûr très heureux d’avoir une nation-symbole où il pourrait venir se ressourcer. Les preuves sont là. La vraie histoire est là. Elle a besoin qu’on en parle. Mieux encore, l’idée est rentable sur tous les plans : idéologique, culturel, touristique, politique et économique.

Le militant panafricaniste Kémi Séba5, émerveillé, a eu à déclarer, en posant ses pieds pour la première fois en Haïti : « Quand le chrétien veut communier avec Dieu, il va à Jérusalem. Quand le musulman veut se recueillir devant Allah, il va à la Mecque. Quand un Noir veut se ressourcer dans l’âme nègre, il doit fouler la terre d’Haïti ».

Vue en perspective du monument aux bateaux avec la carte du
monde dans le port de Lisbonne.                                               
Voilà, cher Pharaon, au lieu de cacher l’argent dérobé à l’étranger, vous pouvez organiser la nation en installant la paix, la propreté, le goût de vivre, pour inviter les touristes à venir nous visiter, et surtout faire d’Haïti un lieu de ressourcement pour tous les afro-descendants qui devraient, comme les musulmans, une fois dans leur vie,  voir la Mecque et mourir.

Ainsi, pourrons-nous, comme le réclament plusieurs pays africains aujourd’hui, tel le Bénin, nous faire restituer nos biens culturels, notre histoire véridique, les restes de Toussaint, réhabiliter nos héros, exhiber les armes redoutables, reconstruire les villages de l’époque, et, exposer les preuves macabres des crimes innommables, tels que, les esclaves emmurés, les trous destinés à écrabouiller la tête du vassal fautif, une scène de tronçonnage d’une main, d’une jambe, une représentation d’étampage, de lynchage etc… En un mot, voyager à l’envers de l’histoire à l’eau de rose que nous a concoctée le colon,  montrer l’horreur avec son grand H, exposer le côté monstrueux de l’Européen assoiffé de richesses.

Ne rééditez pas l’erreur des Pharaons
À quoi ça rime toute cette fortune cachée dans les coffres à vous rapporter que des clous. Avant vous, dans la lointaine Égypte, il y avait des hommes qui pensaient se meubler d’or, de pied en cape,  au jour du grand départ. Dans des sarcophages hermétiques, ils se sont fait ensevelir avec l’or du peuple, dans des voûtes secrètes et imprenables avec l’intention de ressusciter plus riches que Crésus, un jour venu. Ignorant le côté non statique des choses, ils ne croyaient pas qu’on pouvait retracer cette richesse. C’est sans compter avec la cupidité humaine. Ils se sont fait rouler dans la farine. Cette fortune mal acquise n’a pas survécu au temps. Tout a été dérobé. Adieu or et vêtements de soie. Adieu meubles de bronze et artéfacts de valeur. Tout a été emporté pour enrichir les collections de douteux investisseurs et les musées du monde. Les richesses obscures ne traversent jamais le temps. Les prédateurs sont à l’affût et n’attendent que le vent de la chance tourne un jour en leur faveur.

Mille exemples jalonnent l’histoire des magots enfouis. Aux temps bénis des colonies, certains riches, surpris par une soudaine révolution, devaient laisser précipitamment leur région et partir. Ne pouvant emporter le pactole avec eux, ils décidaient de l’enterrer quelque part dans les forêts, près des côtes, avec l’intention d’y revenir. Mais, hélas, combien de ces jarres ont été retrouvées par chance ou grâce au détecteur de métal. Plusieurs romans et films ont été écrits à ce propos. Donc, veuillez écouter la voix de la raison en faisant d’une pierre deux coups, en allant exploiter ce filon d’or chez-vous. Pour la beauté du geste, Haïti vous réservera ses lauriers. Bonne chance!

Max Dorismond
Mx20005@yahoo.ca















Note
1 - Voir l’ouvrage de Yuval Noah Harari : 21 leçons pour le XXIéme  siècle. Éd : Albin Michel 2018.
2 – Élie Lescot : Voir Le coin de l’histoire, Tome 1 (2ème édition) de Charles Dupuis – page 41.
3 – « Discours sur l’origine des inégalités parmi les hommes » J.J.Rousseau (1712-1778)
4 -  Mais ce qui se détache le plus dans le Trésor est la grandiose Custode Processionnelle, commandée par le           Cardinal Cisneros à Enrique de Arfe en 1515, qui abrite l'ostensoir ou petite custode, dans son intérieur.               Celle-ci fut acquise par le Cardinal Cisneros d'un legs de la Reine Isabelle la Catholique et selon la croyance         populaire elle fut réalisée avec le premier or qui arriva d'Amérique. Source : Wikipédia. (La Cathédrale de           Ste-Marie de Tolède)
5 -  Kémi Seba en Haïti au Café Philo : https://youtu.be/G_X5eFF6pJE



NOTE SPÉCIALE
Haïti Connexion Culture profite de cette dernière heure de l’année 2018 pour vous présenter son dernier article. Espérons que les prédateurs de chez-nous, écoutent pour édifier dans la glaise du réel, le rêve de l’auteur, en l’occurrence,  Max Dorismond.

BONNE ET HEUREUSE ANNÉE  À TOUS


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