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Friday, June 29, 2018

Que reste-t-il des amours et des rêves de la diaspora?



Par Max Dorismond 
         
Max Dorismond
La neige a fondu, le soleil se met de la partie. Ouf, que l’hiver fût long! C’est l’éternelle rengaine. L’ennui, son corollaire, nous laisse toujours l’empreinte de sa mesure. La diaspora se déshabille. Tombent les manteaux, tombent les foulards… Les associations caritatives hissent leurs voiles. Les invitations pleuvent. Pour elles, c’est le temps béni pour faire le plein en capitalisant sur ce désir fou de revoir l’autre que l’hibernation avait écarté de la route.
           
C’est ainsi qu’au début de juin 2018, l’Association des Aveugles et Amblyopes Haïtiens du Québec, (A.A.A.H.Q), tenait son rendez-vous annuel. Les habituels amis étaient présents.  Ça faisait du bien de se revoir. Baron Samedi, en tirant à l’aveuglette dans le tas, cette fois-ci, avait fait semblant de ne pas trop déranger. C’est une question de temps, puisque certains, encore à la fleur de l’âge, sont partis sans dire adieu. Parfois, un AVC1 foudroyant ne leur a laissé aucune chance de manifester ce dernier désir. Ah, maudit hiver!

Tout le monde était beau! Tout le monde était gentil! Les chansons du terroir réveillaient les souvenirs. Le saxophoniste de talent, Marcel Cost, tel un expert-paysagiste, vint arroser la nostalgie qui nous tenaille, en faisant renaître, du coup, les fleurs de l’oubli. Du bout des lèvres, on fredonnait en chœur et timidement, ces hits qui avaient bercé  des fragments de notre jeunesse, pour nous retrouver, par la pensée, les yeux fermés, sur l’île perdue.
           
Et soudain au micro, sans entracte, une voix suave et mélodieuse, rehaussée par la nouvelle saison, entonna :
Nul ne peut ignorComment cela est dur
De vivre loin de son pays
………………………………..
Je m’en vais
Mais un jour je reviendrai…

C’est notre Marc-Yves national. Marc-Yves Volcy, ce chantre-poète qui, au Ciné-Rex, avait accompagné nos dernières larmes sur les épaules de l’amour qui s’envolait vers des cieux plus cléments aux fins d’échapper aux griffes des carnassiers aux dents longues et aux grandes oreilles, lâchés sans laisse dans la nature par les Duvalier. Ces fauves en « gros bleu », au foulard rouge de sang, objets des cauchemars de nos mères, ne faisaient pas dans la dentelle au cours de ces périodes détrempées d’angoisse.

Les carnassiers aux grandes dents
En chœur, le public entonne le refrain au point de noyer la voix de l’artiste… Au final, une ovation monstre se leva pour remercier le chanteur. Et quelques larmes furtives, des larmes de regret sur certaines joues, noyaient les fards et maquillaient les réminiscences. Le constat qui me désarçonna, c’est quand deux non-voyants, assis non loin de moi, extrayaient leur mouchoir pour assécher leur trop plein d’émotions. Je ne pus plus me contenir.

Soudain, une ribambelle d’idées traverse ma pensée à la vision de tous ces jeunes retraités présents, à la fois songeurs et heureux, riches d’expériences qu’Haïti aurait pu utiliser à bon escient. Des professionnels aguerris, dans la jeune soixantaine, « pleins aux as », qui ne demandent pas mieux que d’aider la nation à remonter la pente vertigineuse  de la mal-gouvernance, qui l’entraîne dans les abysses de la misère chronique. Nos gouvernants, ne pourraient-ils pas épouser l’esprit du discours rassembleur et inclusif de Paul Kagamé, le président du Rwanda : «  Notre pays, le Rwanda, sera une nouvelle porte d'opportunité, de savoir, de technologie et d'innovation pour tous les enfants Africains et du monde qui désirent apprendre chez nous ou encore nous apporter leur savoir »?.

Pourquoi avions-nous renoncé à cette douce promesse chantée par Volcy? -
Et pourtant, nous étions formatés pour retourner. Nous l’avions bien fredonnée et sincèrement espérée : « Je m’en vais. Mais un jour je reviendrai… ». Pourquoi sommes-nous encore derrière la porte, alors qu’Haïti réclame notre aide à cor et à cri? C’est la question à un million. Que sont devenus les rêves d’antan!

Voyons plus ou moins le contexte. Que d’eau a coulé sous les ponts depuis notre départ! Les gouvernements passent et repassent, d’autres générations nous ont succédé. Nos souvenirs se sont estompés et l’oubli a presqu’accompli son œuvre de sape. Entre autres particularités, au pays, les flamboyants professionnels de jadis, les génies du verbe, les maîtres-experts des professions libérales, les parlementaires au panache de feu, les tribuns des grandes occasions, ces hommes de commerce agréable, ne font plus partie du décor. C’est le vide sans écho. Mais, pour la génération sur place, ce rappel est encore un fantasme de grand-père, des souvenirs de poètes frustrés. 

Aujourd’hui, nul ne peut se permettre de se présenter là-bas, en donneur de leçon. On s’est trompé de chapître. Les paradigmes ont évolué à l’envers de la logique occidentale. La réussite et les transferts de classe ne puisent plus leur raison d’être dans le travail, les études, les diplômes et l’effort. Sauf les niais passent encore leur temps à cirer les bancs des institutions de leur culotte. Avec une guitare, un micro et quelques « gouyades » bien balancées, l’affaire est ketchup. On achète quelques votes, et deux jours plus tard, on prête serment.
Marc Yves Volcy lors de son passage à l'A.A.A.H.Q

Cette diaspora a tant vu au cours de ses années de galère. Sa progéniture demeure l’orgueil du pays d’accueil et sa fulgurante progression en est la preuve. Aujourd’hui, les enfants sont partis et la maison est silencieuse. Elle (la diaspora) a déjà voyagé autour du monde et en a vu du pays. Fatiguée et satisfaite, elle ne caresse qu’un unique phantasme : retourner au bercail, avant de finir groggy, comme un vulgaire numéro, dans un foyer pour personnes âgées. Cet indéfectible amour n’a jamais failli. Selon les statistiques du FMI, plus de 2,5 milliards de dollars sont reçus par Haïti, tous les ans, de sa diaspora. Quelle autre preuve veut-on avoir de ces fils qui ne demandent rien d’autre qu’aider les plus mal pris.

Si le pays avait ouvert la porte avec une certaine « assurance tous risques », leurs millions seraient bénéfiques à la patrie nécessiteuse. Avec ses atouts : études, diplômes, finances, sensibilité démocratique etc…, la diaspora demeure un avantage certain pour l’avancement de l’île. Ses retraités représentent une manne non négligeable que le pays d’accueil n’est pas prêt à « lâcher lousse2 » : connaissances, expériences, économies, fonds de pension, demeurent un « plus » non négligeable qu’il désire à tout prix garder chez-lui. « Yo pa égaré ». Sa progéniture est recherchée sur tous les continents : l’Amérique, l’Europe, l’Afrique et l’Asie. Plusieurs pays sont en compétition pour solliciter les services de nos jeunes. Je peux sans équivoque prendre ma famille immédiate et de proximité à titre d’exemple.

Les multiples causes de cette valse hésitation -
Au fil du temps, l’expérience des autres nous confère le titre de l’adulte pensant et baptisé. Après une première gifle, quoiqu’en disent les dogmes chrétiens qui nous invitent à tendre l’autre face, on ne peut jouer au kamikaze.  La sagesse instinctive nous invite à ne pas obéir à ce dieu fonceur et aventurier, et à y aller mollo. Toutefois, certains hâtifs avaient pris la route du retour, croyant posséder suffisamment d’atours à offrir au pays, et s’attendant à être reçus à bras ouverts avec des « Hauts chants » sur le tapis rouge déroulé pour eux devant la Cathédrale, comme s’ils étaient des fils prodigues.

En « péteur de tête » ou en s’illusionnant, si on veut, le revenant ignore qu’il vient de commencer un deuxième exil. Ne pouvant prendre le train des nouvelles valeurs, c’est la débandade, la déception sur toute la ligne. L’adaptation en prend pour son rhume. Certains ont très vite déchanté face à la désorganisation structurelle, la corruption générale débridée, l’ambiance délétère de l’insécurité organisée et les violences endémiques qui laminent le tissu social.

Tout a changé pendant leurs années d’absence. Déçus et amers, le peu de temps qu’a duré cette immersion n’a fait qu’épaissir le brouillard. Nos héros, non vaccinés contre la médiocrité, reviennent à leur point de départ et enfilent à nouveau leur manteau d’hiver, le cœur meurtri. Sans en avoir l’air, c’est un troisième exil qui s’amorce pour eux.  L’utopie s’est faite pierre sur laquelle ils essaient de se rééditer au pays d’accueil,  en souvenir d’un passé effiloché sur plus de 40 ou 50 années. Parfois, c’est désarmant et triste de voir ces revenants à la recherche de leurs points de repère.

Qu’est-ce qui a transmué le congénère et l’incite à bloquer le bon samaritain? –
En premier lieu, un membre de la diaspora est un homme nouveau. Un personnage avec de multiples valeurs, glanées à gauche et à droite au cours de ses pérégrinations, ses déplacements à travers le monde, et durant ses moments de relaxation. Tout, dans ses voyages, l’interpelle et le ramène vers son pays d’origine. Il ne cesse d’emmagasiner pour pouvoir offrir à sa terre natale les bienfaits notoires de l’ordre et de la discipline, de l’intelligence et de la créativité des autres.
Cri du coeur d'une jeunesse exaspérée (Vidéo)
En second lieu, Haïti s’est métamorphosée. C’est l’individualisme à outrance. C’est le sauve-qui-peut. « Naje pou soti », avait répété un président. L’insécurité galopante est le dernier lot qui façonne leur hésitation. Le kidnapping de certains revenants a laissé un arrière-goût amer dans le subconscient de tous les futurs candidats, au point de ramollir leur désir tant caressé. De là à se méfier de tous les compatriotes, il n’y a qu’un pas. Et la paranoïa finit par ébranler sa foi au point de croire que tout est cyniquement organisé pour empêcher ce retour tant souhaité.

Pour supporter cette démonstration, nous pouvons apporter cet exemple anecdotique, conté par plusieurs pour conforter leur crainte. Pensant bien agir, certains médecins de la diaspora retournent au pays pour les vacances et écoulent leur quinzaine à offrir soins et médicaments gratuits à beaucoup de malades, tout en invitant quelques collègues et anciens camarades de promotion de la place, à titre d’accompagnateurs. Au premier voyage, ce fut merveilleux. Mais aux suivants, on voit le touriste comme un envahisseur, un empêcheur de danser en rond, un trop riche confrère de l’étranger qui vient fragiliser le malingre marché. 

À la perception de ces plaintes furtives écoutées dans l’entrebâillement des portes, ils ont vite établi la différence entre tourisme versus résidence. Donc, la fuite sur la pointe des pieds demeure l’unique exutoire à ne  pas dédaigner. Ce qui nous porte à répéter avec Jean Berton, dans La Hantise de l’exil dans l’œuvre de Iain Crichton Smith : « L’exil est associé à la séparation, à l’abandon, à la perte. Le retour est lié à la restitution, la revendication, la reprise, même partielle ». En ce qui concerne cette restitution, « c’est le Poinn fè pa » Nous pourrons la confirmer avec une réflexion de Pierre-Yves Roy (mars 2017), qui attire notre attention sur « la compétitivité des haïtiens de l’intérieur qui s’évertuent à bloquer systématiquement ceux de l’extérieur en promulguant des législations contraignantes pour leur barrer l’accès aux urnes et les empêcher de jouir de leurs droits naturels, en inspirant la peur ».  

Est-ce un problème insoluble, vu les besoins de la nation? - 
Bien sûr que non! Un retour organisé, tant par le pays que par les intéressés, pourrait s’avérer salutaire si toutes les conditions de sécurité, de salubrité étaient réunies en conséquence. Toutefois, il faut que Haïti le veuille en son âme et conscience, en annihilant toutes les épines au pied du rapatrié. Imaginons la gouvernance éradiquer le spectacle débridé de l’étalage des fortunes mal acquises des nouveaux riches : Sénateurs. Députés et autres…, consolider la confiance dans sa police et ses tribunaux. Imaginons l’État haïtien adopter des concepts modernes d’investissements, simplifier les formalités non contraignantes pour la création d’entreprises, sans les bakchich ou les pots-de-vin coutumiers, promouvoir un tourisme patriotique et fiable, à l’instar de Stéphanie Balmir, offrant toutes les garanties de confort, de services et de sécurité. Si oui, des milliers d’expatriés, rassurés et convaincus, se feraient un plaisir d’effectuer le voyage de retour souhaité.

Néanmoins, un retour individuel, sans un dénominateur représentatif, ne sera en réalité  que la fantaisie  d’un touriste fêtard, amoureux de la dive bouteille, oublié par erreur sur le quai. Son unique voix ne comptera jamais, tant que règne l’obscurantisme. Seule la détermination et le dynamisme d’une masse critique de revenants pourrait immanquablement infléchir le rapport de force et faire valoir leur contribution au dépannage du pays en carence de cerveaux, en carence de tout.
          

Max Dorismond Mx20005@yahoo.ca



Note 1 – AVC : Accident vasculaire cérébral : Un AVC survient brusquement quand une partie ou une autre du cerveau rencontre un obstacle. Src : internet

Note 2 – « Lâcher lousse » Terme langagier du Québec, signifiant démarrer un peu, donner de la corde à un animal, par exemple. Couramment : donner une certaine liberté

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