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Tuesday, April 22, 2014

"L’écrivain et l’économiste" par Hugues Saint-Fort

Qui n’a pas entendu parler au cours de la fin de cette semaine (jeudi 17 avril 2014, plus exactement) de la disparition de Gabriel García Márquez, le célèbre écrivain colombien, auteur du livre-culte Cent ans de solitude rédigé originalement en espagnol bien sûr, traduit en français en 1968 au Seuil, et récipiendaire en 1982, je crois, du prix Nobel de littérature pour l’ensemble de son œuvre littéraire ? Ce n’est qu’au milieu des années 1970 que j’ai lu ce roman extraordinaire, qui représente sans doute le modèle parfait de l’école du « réalisme magique », cher à quelques grands romanciers latino-américains (Alejo Carpentier, en particulier) et à certains romanciers haïtiens, dont Jacques-Stephen Alexis (Les arbres musiciens), René Depestre (Hadriana dans tous mes rêves), Gary Victor… Cent ans de solitude a été traduit dans plus de trente langues.

C’est donc le texte littéraire le plus connu de GGM. Il a la particularité de mêler intimement la réalité et la fiction, le réel et le fantastique, le surnaturel et le réalisme. Il est traversé par l’histoire et la mémoire, percé par l’oubli, transfiguré par la politique. Le poète chilien Pablo Neruda, un autre géant de la littérature latino-américaine, a dit de Cent ans de solitude que c’est « le plus grand roman écrit en langue espagnole depuis Don Quichotte ». Cent ans de solitude est le roman le plus connu de Gabriel García Márquez, mais il ne faudrait pas oublier aussi d’autres textes littéraires, comme Chronique d’une mort annoncée (1982), L’amour au temps du choléra (1988)…

Dans les années 1970, Garcia Marquez a pris position fermement contre l’impérialisme américain qui sévissait alors et s’est vu refuser des visas américains quand il en a postulé pour venir aux Etats-Unis. Ecrivain engagé, grand défenseur du Tiers-Monde, ami de Fidel Castro, il n’a jamais fait mystère de ses positions socialistes, plus exactement social-démocrates. Plus tard cependant, devenu tellement célèbre à travers le monde, il a été invité et reçu par les grands de ce monde, dont Bill Clinton lui-même.
Quand j’étais plus jeune et que j’étais fou de littérature, de romans surtout, j’étais émerveillé par le titre de ce livre-culte, Cent ans de solitude. Il évoquait pour moi le mystère de la fuite du temps, le surnaturel qui était associé à la réalité, le romantisme et la fiction de la solitude… Qu’en est-il resté de ces sentiments contradictoires ? Avec le départ de Gabriel García Márquez, l’heure est venue pour moi de me replonger dans la lecture de ce chef-d’œuvre.
La plupart de ceux qui ont lu le titre de mon article, si toutefois ils se sont tenus au courant de l’actualité littéraire et même politique, ont compris à qui « l’écrivain » faisait référence. Il est fort douteux que ces mêmes personnes aient compris que le terme « l’économiste » faisait référence à l’économiste français, Thomas Piketty, qui n’a que 42 ans et qui est professeur d’économie à l’école d’économie de Paris.
Ce n’est pas tous les jours que l’on voit un économiste français acclamé dans presque toutes les avenues du pouvoir américain. Dans son édition du samedi 19 avril 2014, le New York Times titrait ainsi dans sa page « The Arts » : Economist Receives Rock Star Treatement. Expliquant que Piketty venait présenter son dernier livre Capital in the 21st Century au public américain, la journaliste du NYT informe que Thomas Piketty a rencontré le Secrétaire américain au Trésor, M. Jacob Lew, donné une conférence en présence des membres du Conseil des conseillers économiques du président Obama, (President Obama’s Council of Economic Advisers), puis une autre dans les locaux du Fonds Monétaire International à Washington, DC. Piketty se rendit ensuite à New York, aux Nations Unies pour une discussion publique-- dont toutes les places étaient épuisées--avec deux récents prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz et Paul Krugman. Finalement, il rencontra la presse générale et spécialisée, dont The Nation, New York Magazine, et The Harvard Business Review.
Paul Krugman, le fameux chroniqueur économiste du NYTimes, et professeur à Princeton, a prédit que le livre de Thomas Piketty changera à la fois la façon dont nous réfléchissons sur la société et la façon dont nous enseignons l’économie. Avec un tel titre Capital in the 21st Century qui projette des échos de Das Kapital, le magnum opus de Karl Marx, certains économistes ou chercheurs affiliés à la gauche américaine semblent déceler un retour de la pensée néo-marxiste, ce qui est loin d’être paradoxal car Piketty a d’excellentes références de gauche. Ses parents sont d’anciens trotskistes qui ont fait mai 68, il possède des liens très forts avec le Parti socialiste français et surtout, c’est un grand spécialiste des inégalités économiques en France. Son parcours académique est tout simplement impressionnant : Piketty a été admis à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) -- l’une des 5 Grandes Ecoles de France—à l’âge de 18 ans où il se spécialisa en maths et en économie. Il obtint son doctorat à 22 ans avec une thèse sur le sujet de la redistribution des richesses en France. Après sa thèse, il enseigna l’économie à MIT de 1993 à 1995 puis retourna en France pour travailler au CNRS comme chercheur. Il a déjà publié une bonne douzaine de livres et d’articles en français dont le plus connu est Les haut revenus en France au XXème siècle, Grasset 2001. Capital in the 21st Century est son premier livre publié en anglais. C’est un énorme bouquin de près de 700 pages publié par Harvard University Press.

par Hugues Saint-Fort
New York, 20 avril 2014




Une vidéo de Gabriel García Márquez
Le prix Nobel de littérature colombien Gabriel... by lemondefr

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