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Wednesday, August 13, 2025

Monseigneur Joseph Willy Romélus, l’évêque qui défia les vents et les puissants

Mgr Joseph Willy Romélus


Par Hervé Gilbert

Sous le ciel changeant du Sud et au cœur des collines verdoyantes, une lumière s’est éteinte. Monseigneur Joseph Willy Romélus, évêque émérite de Jérémie, s’en est allé à 94 ans. Mais ses mots, ses écoles, ses cercles catholiques, ses églises et ses combats pour la justice continuent de résonner, comme des échos qui traversent le vent et les générations.

Il s’est éteint hier matin à Arniquet, son village natal, une paisible commune des Cayes, laissant derrière lui une Église, un peuple et une mémoire que nul silence ne pourra jamais effacer. Monseigneur Joseph Willy Romélus, évêque émérite de Jérémie, appartenait à cette rare lignée de voix capables de résister aux tempêtes, de se dresser avec courage et dignité, même lorsque le vent du destin s’acharne.


Né en 1931 sur la côte du Sud, il fut ordonné prêtre en 1958. Je me souviens de l’avoir rencontré pour la première fois en 1974, à Latibolière, alors qu’il était encore curé, suite à une invitation qu’il avait adressée à mon père. Jeune adolescent, je conduisais, non sans fierté, une Jeep Toyota aux côtés de mon feu père et de ma mère. Nous gravissions le morne Château par une route en terre battue, serpentant entre les collines verdoyantes. Au sommet, le village surgit comme un tableau vivant : l’air mêlait l’odeur du café et de la terre humide, et les coqs lançaient leur cri clair, tel un cortège annonçant notre arrivée. Il nous accueillit avec une chaleur qui avait déjà la grandeur d’un chef spirituel. Nous découvrions alors ce bourg, berceau de grands hommes, où chaque pierre semblait respirer l’histoire.

Trois années plus tard, le 26 avril 1977, il s’élevait comme évêque de Jérémie, succédant à Mgr Carl-Édouard Peters, premier évêque du diocèse, récemment disparu. Pendant plus de trois décennies, il ouvrit grand les portes de ses églises aux persécutés, affronta l’injustice face aux puissants et sema, à coups d’écoles, de centres de formation et d’initiatives agricoles, les graines d’un Sud plus digne et lumineux. De 1993 à 1999, il présida la Conférence épiscopale d’Haïti, s’imposant comme médiateur national, guidant le dialogue et la non-violence, forgeant des ponts là où le conflit menaçait.

Dans la Grand’Anse, Mgr Romélus ne fut pas seulement un pasteur d’âmes : il fut un bâtisseur de destinées. Des écoles se sont levées sous son regard, comme des jardins où germaient les espérances des enfants ; un collège, une faculté de droit, une école d’infirmiers ont donné voix à l’avenir. Sous ses mains, un foyer culturel a ouvert ses portes aux chants et aux rêves, et la première pierre d’une cathédrale s’est posée comme une promesse au ciel. Il a tendu ses bras aux congrégations venues soigner, nourrir, consoler ; il a défendu, sans trembler, la dignité humaine, jusqu’à recevoir l’écho du monde en prix et en honneurs. Dans les collines et au bord de la mer, on se souvient de lui comme d’un homme qui, pierre après pierre, geste après geste, a inscrit dans la terre et dans les cœurs la marque indélébile de sa foi et de sa justice. Il osa lancer la construction d’une cathédrale majestueuse mais coûteuse, qui resta inachevée, suspendue dans le temps comme un rêve de pierre et de foi, symbole de son audace et de sa vision intemporelle.

Lauréat du Prix européen des droits de l’homme et un temps pressenti pour le Nobel de la Paix, il préférait que l’on se souvienne de lui comme d’un simple pasteur. Retiré depuis 2009, il vécut ses dernières années dans la prière et la sobriété, publiant un livre-testament : Espérer contre toute espérance.

Aujourd’hui, à Jérémie et dans tout le Sud, nous pleurons la perte d’un père. Mais son souffle demeure, porté par le vent qui danse sur les collines et par les prières qui s’élèvent des églises. Son nom résonne comme un serment immuable : tant que la justice sera à conquérir, la voix de Monseigneur Romélus continuera de marcher avec nous.

Herve Gilbert