Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

Tuesday, January 23, 2018

HAÏTI – CHILI : DES LARMES DE SANG POUR JOANE FLORVIL ET JOHN BENJAMIN

(Deuxième de deux parties)

Joane Florvil & John Benjamin

Par Eddy Cavé
Ottawa, le 7 janvier 2018       
eddycave@hotmail.com                                                    








Dans la première partie de cet article, l’auteur a analysé les circonstances et la signification de la mort de deux compatriotes tués au Chili dans  les jours qui ont suivi le spectacle de très mauvais goût donné par  Michel Martelly le 16 décembre dernier au théâtre CAOPOLICAN de  Santiago du Chili. Il ouvre ici une fenêtre sur l’avenir très incertain de cette diaspora en pleine croissance.

Reportages télévisés sur l’immigration récente au Chili

Le nouveau visage du Chili
Au cours des dernières années, la télévision chilienne a réalisé un grand nombre d’émissions qui exposent clairement les problèmes liés à l’immigration haïtienne.  Après plusieurs décennies d’«  inflation structurelle et galopante », le pays était sorti de la dictature de Pinochet-en 1990  avec une économie saine et une forte croissance économique. Il a  d’abord attiré un grand nombre de travailleurs non spécialisés  des pays proches comme le Pérou, la Colombie, la Bolivie, etc.  Puis,  il a eu besoin, pour prendre le virage technologique de la fin du 21e siècle, de nombreux cadres techniques qu’il  a trouvés en Argentine et en  Espagne.

Quand les persécutions des opposants au régime Chavez ont commencé, les Vénézuéliens de diverses couches sociales sont arrivés en nombre croissant.  Selon les enquêtes les plus fiables, 23%  des Chiliens interrogés se sont dits, en 2016, fragilisés dans leurs emplois  par la concurrence de ces étrangers.

En même temps, le Chili  a atteint un niveau de développement où les citoyens commencent à dédaigner les emplois  peu valorisants et mal payés qui sont en général laissés aux travailleurs étrangers. Il a ainsi dû accueillir un flux de travailleurs non spécialisés en butte à  des problèmes  d’intégration sociale et d’acceptation par la population.  Quand, après le tremblement de terre de 2010 en Haïti et l’arrivée des casques bleus chiliens dans notre pays, la jeunesse haïtienne découvrira les possibilités offertes par le Chili, elle s’y jettera les yeux bandés. On découvre maintenant que tout n’était  pas rose sur cette nouvelle terre d’accueil.

Les immigrants haïtiens à la recherche d'un emploi
Si un grand nombre de  travailleurs étrangers arrivent à survivre tant bien que mal dans ce pays, ce n’est certainement pas la terre promise. Dans le reportage, encore accessible sur YouTube, intitulé Trabajadores extranjeros en Chile (Les travailleurs étrangers au Chili), on apprend que la plupart [des Haïtiens] habitent à Santiago, dans le centre-ville, dans d'anciennes maisons où ils louent un petit espace. « Il y a des chambres où ils dorment à 12 ou 15 personnes. Ils sont en train de reproduire ce qui s'est passé dans les années 90 avec les Péruviens qui sont arrivés ici aussi par milliers » (Nibaldo Mosciatti, directeur de l'information, Radio BioBio, Chili).

Selon cette même source, beaucoup d’Haïtiens vivent dans l’illégalité, sont sous-payés et sont obligés d’accepter des emplois que les Chiliens refusent. Ils forment aussi  la catégorie des étrangers les plus vulnérables et qui ont le plus de difficultés à se trouver un emploi.  

Le reportage le plus poignant et le plus instructif est sans doute  celui sur la location illégale de logements insalubres ou inhabitables au Chili. Ce reportage intitulé El lucrativo negocio de arriedo illegal a Haitianos, (Le commerce lucratif de location illégale aux Haïtiens), dénonce les conditions inhumaines dans lesquelles vivent nos compatriotes avec un maigre espoir de pouvoir en sortir un jour. Tout aussi inquiétant est le récent reportage révélant, sans jamais employer le terme « ghetto »,  l’existence du quartier haïtien de Estacion Central où nos compatriotes se réunissent en nombre croissant pour partager leurs souffrances et le mince espoir d’un avenir meilleur.
(Le commerce lucratif de location illégale aux Haïtiens)

Il ressort des observations qui précèdent que l’émigration massive vers le Chili avait peu de chances de combler les attentes exagérément optimistes de nos candidats à l’exil volontaire, surtout les jeunes universitaires. En même temps, on ne pouvait pas s’attendre aux réactions de violence qui ont causé la mort de Joane Florvil et de John Benjamin.

Faut-il perdre tout espoir ?
Tout d’abord, il n’y a pas lieu de croire que les commentaires négatifs entendus dans les reportages visent exclusivement les Haïtiens. Non. Ils concernent toutes les « minorités visibles » : les Péruviens, appelés souvent Indios peruanos feos (Indiens affreux du Pérou), les Boliviens, les Colombiens, les Dominicains, etc. Dans l’opinion publique chilienne, on estime que les immigrants venus de la Caraïbe sont ceux qui sont le plus attachés à leurs coutumes et à leur culture et les moins disposés à s’acculturer. Ils estiment, affirment nombre de Chiliens, que c’est à la communauté d’accueil de s’ajuster à leurs mœurs, leurs habitudes de plein air, leur cuisine, leurs danses. Cela crée bien des conflits dans une société confortablement installée dans son isolement.

Ce même phénomène a été observé récemment au Japon où un certain nombre de citoyens nés et élevés au Brésil sont retournés s’installer en pensant pouvoir conserver les mœurs brésiliennes. Le résultat a été catastrophique. De même, au Chili, les peuples de la Caraïbe semblent croire dur comme fer qu’il incombe aux Chiliens de s’adapter à eux  et qu’ils n’ont pas d’efforts d’acculturation à faire. Nos compatriotes seraient donc tombés dans le même piège.

En guise de conclusion
Givens Laguerre  (au studio)
Un  élément encourageant à mentionner est qu’il  y a eu  des réussites spectaculaires au Chili au cours des quelque 20 dernières années. Des réussites inimaginables à l’époque où j’étudiais à Santiago. Une des plus marquantes a été celle du producteur de spectacles Givens Laguerre, dont la vie apparaît aujourd’hui comme un conte de fée : moins de 40 ans, dont 21 ans au Chili ; débuts difficiles, mais une carrière couronnée de succès ; bonne maîtrise de l’espagnol ; grande capacité de séduction et de persuasion ; de l’énergie à en revendre. Il a un sens extraordinaire de l’humour, comme on l’a vu durant une émission télévisée où il était confronté à l’ancien président Sebastián Piñera, réélu entre-temps. Cette émission, encore accessible sur YouTube, mérite d’être regardée. On y aborde notamment le problème, souvent imputé aux étrangers, de la délinquance et que le candidat s’engageait  à régler. Les chances qu’il fasse quoi que ce soit pour atténuer les tensions raciales sont presque nulles.

Dr. Mompoint
Givens Laguerre est allé beaucoup plus loin que tous les Haïtiens de ma génération qui ont vécu au Chili à partir des années 1960. L’ancien chanteur du petit groupe dénommé  Raggaeton Boys, créé en l’an 2000,  a diversifié ses activités en quelques années en créant plusieurs entreprises qui engagent des immigrants de plusieurs nationalités. Sa réussite spectaculaire est la meilleure preuve qu’il est encore permis de rêver et que rien de grand ne se construit dans la facilité.

Tandis que Givens Laguerre a laissé sa marque dans les milieux du spectacle et des affaires, le médecin haïtien de 29 ans Emmanuel Mompoint a été désigné le médecin le plus aimé de la grande agglomération urbaine de Maipú (un demi-million d’habitants) après seulement quatre années de pratique dans la région. Au terme de ses études en République Dominicaine, le Dr. Mompoint  a choisi de pratiquer au Chili où il estimait avoir d’excellentes possibilités de réaliser son sacerdoce à sa satisfaction. Dans le reportage réalisé au terme de l’enquête menée à Maipú, on le voit accueillir avec le même entregent et la même attention, les divers patients qui se succèdent à sa salle de consultation et à son bureau.  

Jean Beauséjour
le footballer étoile du Chili
Ricardo Ade
Ce coup d’œil sur les motifs d’espoir serait incomplet si je passais sous silence l’excellente travail réalisé le professeur de langues Yvenet Dorsainvil en produisant un glossaire médical créole-espagnol. Ce linguiste a fait œuvre de pionnier en construisant ce pont qui va aider à établir, dans les soins de santé, le type de dialogue fécond sans lequel on ne pourra jamais combattre l’incompréhension, l’ignorance mutuelle, la xénophobie et leur corollaire, l’intolérance.

On notera pour conclure que l’organisme dénommé Espas Refleksyon Haiti - Chili a déjà commencé un excellent travail en vue de l’élimination des préjugés et de la création d’une plus grande harmonie entre les deux peuples. À cet égard, la contribution d’une organisation internationale plus large comme Comunidad Sin Fronteras ne peut être que bénéfique à tous les égards. On y retrouve la plupart des ténors haïtiens du rapprochement entre le Chili et ses minorités de travailleurs étrangers nouvellement arrivés. Il y a enfin le football où Haïti a déjà donné à la sélection nationale le joueur étoile Jean Beauséjour, de mère chilienne, et  tout récemment un fils authentique dénommé Ricardo Ade.

A suivre...

Eddy Cavé eddycave@hotmail.com




No comments:

Post a Comment